LA PRESSE À ÉDIMBOURG
Controverse payante pour Mike Ward en Écosse
La Presse
ÉDIMBOURG — Le ton est vite donné. Une minute à peine après son entrée en scène, devant une salle comble de 150 personnes dans la vieille ville d’Édimbourg, Mike Ward revient sur ses déboires judiciaires récents au Québec.
L’humoriste rappelle brièvement sa blague sur Jérémy Gabriel, qu’il avait qualifié de « pas tuable » dans ses spectacles il y a quelques années. Puis il s’étend de long en large sur son procès devant le Tribunal des droits de la personne, qui l’a condamné le mois dernier à payer 42 000 $ pour avoir porté atteinte à la dignité du jeune homme atteint d’une maladie rare.
« J’avais cessé de faire cette blague il y a des années, mais si c’est pour me coûter 25 000 livres [42 000 $], je veux en avoir pour mon argent, lance Mike Ward au micro. Je vais même apprendre l’espagnol pour pouvoir raconter cette blague en Espagne et au Mexique ! »
Devant une salle mi-hilare, mi-interloquée, Mike Ward confirme ensuite son intention d’en appeler du jugement, voire de s’adresser à la Cour suprême s’il le faut.
« Mon but est d’étirer cela jusqu’à ce que le garçon finisse par mourir. »
— Mike Ward
L’humoriste de 42 ans l’admet sans hésiter : la polémique qui l’a entouré au cours des derniers mois lui a donné une visibilité exceptionnelle sur le plan international. Sa condamnation au Québec – et son combat subséquent pour la liberté d’expression – constitue la pierre angulaire de son spectacle
, présenté pendant tout le mois d’août dans le cadre du festival Fringe d’Édimbourg.Depuis la première présentation de ce spectacle anglophone, Mike Ward a bénéficié d’une couverture abondante dans plusieurs grands journaux britanniques (
), qui lui ont accordé entre trois et quatre étoiles. Un fait rare pour une première participation au plus grand festival d’arts de la planète, où les artistes jouent du coude pour se faire remarquer au travers des 3300 spectacles présentés bon an, mal an.« Ça faisait des années que je voulais venir à Édimbourg, a expliqué Mike Ward après son spectacle de samedi soir. J’ai commencé à m’informer et j’ai réalisé que ce qui marche, c’est quand tu as un concept. Ce qui est étrange avec le procès, c’est que ça m’a donné une saveur qui est intéressante, ça donne une raison aux journalistes anglais de parler de moi. »
« Humainement, ç’a été la pire chose que j’ai vécue de ma vie, je suis comme en semi-dépression depuis deux ans, mais pour ma carrière, c’est bon. »
— Mike Ward
Malgré la vingtaine de messages haineux qu’il dit recevoir chaque jour, Mike Ward ne regrette pas de s’être défendu jusqu’au bout devant le Tribunal des droits de la personne, plutôt que de conclure un règlement à l’amiable avec le « petit Jérémy ». Il réitère son intention de s’adresser à la Cour suprême s’il est débouté en appel. Et se dit même prêt à « quitter le Canada » s’il perd sa cause.
« Tout le débat qu’on a vécu au Québec, il était correct, il était nécessaire, pour voir c’est quoi la limite en humour, jusqu’où les humoristes peuvent aller ou pas, avance-t-il. Le problème que j’avais, c’est que ce soit la Commission des droits de la personne, un organisme gouvernemental, qui me poursuive. »
Le gagnant de l’Olivier de l’année en 2016 insiste sur le fait qu’il se bat uniquement pour protéger le principe de la liberté d’expression, de plus en plus mis à l’épreuve, selon lui. Un combat qui a trouvé écho chez plusieurs humoristes de renom au cours des dernières semaines. David Mitchell, une vedette en Grande-Bretagne, a notamment publié une longue lettre ouverte dans le quotidien
la semaine dernière.« Mon nom n’est pas connu partout sur la terre, mais mon histoire, oui. Il n’y a pas un humoriste sur la terre qui ne la connaît pas. »
— Mike Ward
Outre ses problèmes judiciaires, Mike Ward aborde une série d’autres sujets de façon abrasive pendant son spectacle de 50 minutes, allant de la pédophilie au racisme en passant par le visionnement d’un film porno gai avec sa femme. Un spectacle ponctué de rires aux éclats et de malaises dans la salle, avec une demi-douzaine de spectateurs qui sont partis avant la fin.
Même s’il est d’abord et avant tout connu au Québec, Mike Ward se produit depuis des années un peu partout dans le monde. Ses producteurs dans le cadre du Fringe espèrent que sa présence à Édimbourg permettra de le faire connaître encore davantage à l’étranger.
« Depuis quatre ou cinq ans, mon plan a toujours été de faire du moitié-moitié entre le Québec et l’international, dit Mike Ward. Là, plus ça va, plus ça va être de faire une semaine au Québec et trois semaines à l’international. »
L’humoriste fera notamment une tournée asiatique en décembre prochain, qui le mènera en Chine continentale, à Hong Kong, en Thaïlande et au Japon. « Ma première vraie tournée dans cette région. »
L’humoriste se prépare aussi à animer une nouvelle émission à Teletoon la nuit, en septembre, et il rédigera des blagues pour une émission spéciale à la chaîne américaine Comedy Central – le « roast » de l’acteur Rob Lowe. Mike Ward sera par ailleurs la tête d’affiche d’une soirée spéciale consacrée au « droit de choquer », organisée ce soir à Édimbourg par le magazine
.ComediHa !, la filiale humoristique de l’entreprise QuébeComm, marque une première présence au festival Fringe d’Édimbourg en produisant le spectacle de Mike Ward. Sylvain Parent-Bédard, président fondateur du groupe, estime avoir marqué un grand coup en positionnant l’humoriste au Gilded Balloon, l’un des quatre piliers du plus important festival artistique de la planète. « C’est très humble, mais c’est un premier pas important dans le marché anglophone pour une entreprise québécoise. C’est une première étape pour nous. Notre objectif, c’est d’avoir à l’intérieur du Fringe notre propre festival, ComediHa ! » Le dirigeant souligne que son entreprise bénéficie déjà d’une certaine présence internationale, entre autres grâce à l’émission
, qu’elle produit et qui est diffusée dans 150 pays. Le spectacle de Mike Ward en Écosse est produit en collaboration avec la boîte londonienne SiT Productions.